Les conquêtes : étude des mutations de l’artiste et de l’entreprise dans leur relation commune

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Quand l’art infiltre l’entreprise

Si le premier contact entre la création artistique et l’activité économique, entre l’artiste et le privé, ne date pas d’hier, c’est à partir de là qu’il nous faut commencer. Un premier contact qui se positionne à la base de la relation entre le milieu artistique et le milieu entrepreneurial, et qui voit perdurer encore aujourd’hui ces premières formes, ces primaires apparences. Il en va donc d’observer ces formes, dans leur application la plus récente, et d’en comprendre le degré de relation et les enjeux, pour chacun, liés à cette rencontre. De l’artiste qui œuvre pour l’entreprise, à l’artiste qui « se sert » de l’entreprise, et vice-versa, nous aborderons le temps du pacte, le temps de la collaboration, puis le temps de la démocratisation de la pratique artistique. Des caractérisations succinctes mais qui tendront à mettre en valeur, par leur caractère presque ethnologique et comportemental, les premières mutations que nous pouvons révéler.

Quand l’entreprise déteint sur la création artistique

Ainsi, l’artiste va petit à petit pénétrer dans le milieu de l’entreprise, et en saisir les codes, les valeurs et les enjeux d’une telle rencontre. Mais ce qu’il va y trouver n’est pas seulement là une pépinière d’outils, de pratiques ou de compétences ; l’artiste va découvrir en l’entreprise la potentialité d’un sujet de travail, d’une réflexion sur l’objet économique. Certains d’entre eux vont donc profiter de ces premiers degrés de la relation, de ces premières formes d’infiltration, pour passer d’une posture d’observation, de collaboration, de participation qui engage principalement le corps et l’outil, à une « stratégie adaptative », qui va cette fois entraîner le domaine de la pensée, une interrogation sur la figure même de l’entreprise. Et faire entrer alors la relation entre l’art et le privé dans une toute nouvelle dimension aux accents biologiques, le mécanisme complexe de la co-évolution.

La question du travail :
pourquoi l’artiste et l’entreprise devaient se rencontrer

Ces premières réflexions auront ainsi permis de saisir que la relation entre l’artiste et l’entreprise n’a eu de cesse de subir plusieurs mutations, depuis leurs premiers échanges, cordiaux, relativement prudents, jusqu’aux ébats passionnés qu’on leur connaît dès les années 60 – appelant à chaque étape un nouveau lot d’enjeux et d’intérêts, plus ou moins communs –. Mais qu’a donc poussé ces deux entités, que tout semblait a priori opposer, à se rencontrer ? Au-delà d’une approche plus anthropologique de cette relation, n’y a-t-il pas des préoccupations similaires, des fondements de concert ? Voire des questionnements identitaires révélateurs ?

L’entreprise : un nouveau public ?

Si la question du travail apparaît centrale et sans aucun doute la plus flagrante, de par les enjeux de professionnalité, lorsque l’on s’interroge sur les raisons qui poussent l’art et l’entreprise à se rencontrer, il serait néanmoins réducteur de ne pas voir au-delà, d’autres hypothèses de réponses qui pourraient apporter un éclairage plus diffus sur la question. Un autre prisme par lequel regarder cette attraction porterait ainsi sur des questions sensiblement plus politiques, sociologiques, ou touchant à une certaine éthique, abordant des territoires plus stigmatisés, plus épineux. Pourquoi, donc, en-deçà du prisme du travail, l’artiste fait preuve d’un tel intérêt pour l’entreprise ? Et pourquoi l’entreprise mise-t-elle sur la création artistique, en-dehors d’un effet de philanthropie singulière ? Quels desseins plus profonds cela touche-t-il ?

Contient des entretiens réalisés auprès de :
Ludovic Chemarin
Damien Beguet

Mémoire ♦ août 2011
Master 2 Métiers des Arts et de la Culture
Faculté d’Anthropologie et de Sociologie de l’Université Lumière Lyon 2
Directeurs de mémoire : William Saadé et Frédéric Khodja

L’artiste contemporain à l’épreuve de la France

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L’art contemporain face à la France

C’est un constat : l’art contemporain français jouit d’une faible assise sur la scène internationale.Si chacun s’accorde à le valider, il ne soulève pas moins l’éternelle question : Pourquoi ? Et au-delà du pourquoi, comment ? Comment la France, qui a vu naître en ses terres de véritables révolutions artistiques — des impressionnistes à l’avant-gardisme, en passant par le séisme Marcel Duchamp —, se retrouve aujourd’hui à contempler le marché international de l’art tout en en étant quasi-absente, et à susciter maigrement l’intérêt du monde critique ? Que s’est-il passé ? Mais encore, pourquoi la situation ne semble pas évoluer à l’heure actuelle, malgré ce constat ? Assisterions-nous, impuissants, au sombrement de la France dans les abysses de la masse plasticienne planétaire ? Ou serions-nous aveugles — par choix ou par mécanisme de défense, effet qui de toute évidence, n’apparaît pas toucher le seul domaine artistique… — quant à ce que le système français, face à ses pairs européens, a de plus rigide et complexé ?Car si l’on veut une fois pour toutes parler de la situation avérée critique de l’art contemporain en France, on ne peut avant tout (plus) se permettre non seulement de faire l’économie d’un retour sur l’Histoire française, dans ce qu’elle a de plus ancien voire de passéiste et dans sa modernité, mais aussi d’affronter — au-delà de s’apercevoir de — ce qui, au lointain comme au plus près, aura participé d’un engourdissement des pouvoirs publics, torpeur qui aura eu raison d’une persistante et indécente frigidité de la société et de ses citoyens face à ses arts.

Le rôle de la formation artistique
dans la construction de l’identité de l’artiste

De l’apprentissage à l’embauche, il n’y a, a priori, qu’un saut, et même plutôt un léger dénivelé, qui nous fait entrer dans la vie professionnelle et subvenir alors à nos besoins.Si cela est vrai — au-delà de la crise actuelle et d’une difficulté généralisée d’accès à l’emploi — pour l’ensemble des formations spécialisées, l’enseignement artistique évolue quant à lui en retrait de cette équation.Car bien que fortement présente et bien répartie sur le territoire français, de l’université à l’école d’art, les débouchés en sont pour ainsi dire divers et variés et parfois même loin de l’objectif premier de la formation, voire complètement écartés. Si l’on entend régulièrement qu’un pourcentage inférieur à 10% des diplômés sortant des écoles d’art deviendront un jour des artistes reconnus, nous sommes en droit de nous demander: Qu’advient-il des autres ? Mais aussi, ce qui pourrait paraître faire l’adage de ce mémoire : Pourquoi ? Si l’on compare ce taux de réussite dans le cadre stricto sensu de la formation vers l’accession à l’emploi pour lequel elle forme, avec ceux d’autres formations du même type “spécifié” — IUT, écoles d’ingénieurs, etc. —, l’écart est baillant et le constat affligeant. Peut-on alors encore parler d’apprentissage professionnel ou doit-on parler d’occupation ?Si cette dernière question paraît brutale, elle s’inscrit néanmoins dans la poursuite de ce qui a été déroulé jusqu’ici, à savoir le maintien d’un flou artistique sur le domaine des arts plastiques, et l’aberration contenue quant à un tel état de fait. La formation plastique aura là aussi subit de nombreux changements, en vue des tiraillements historiques évoqués précédemment, et bien que se positionnant allègrement en marge de la formation en France, elle n’en reste pas moins publique et donc étroitementinfluencée par les contextes et les volontés politiques au pouvoir.Il s’agit alors ici de tenter de saisir de quelle manière l’école d’art et plus succinctement, l’enseignement artistique, participent eux aussi, comme par délégation, du renforcement d’une tension surplombant les arts plastiques au contact premier et direct de l’artiste en devenir, et de la construction ou de la déconstruction de l’identité de ce dernier.

L’artiste plasticien dans sa contemporanéité

Si tous les chemins mènent à Rome, le nôtre nous aura conduit, irrévocablement, à converger vers celui dont on parle beaucoup, dont on lit les paroles, dont on entend les postures : l’artiste. Si espérer un changement semble « mal barré » (1), reprenant les termes de Hervé Trioreau, du côté d’un système français inerte, il reste l’artiste, certes désenchanté mais pas amoindri, et son effort pour se débattre dans un contexte peu enclin à revenir non pas sur le passé, mais sur la réalité de la profession, sur ses attentes et ses besoins, dans l’idée que l’on se fait d’un terme comme “contemporain”, au-delà de son entendement à travers une histoire de l’art. Ainsi, il nous faut désormais affiner la question : Qu’est-ce qu’être artiste ?, dans sa dimension la plus éthérée, à la suivante : Qui est l’artiste d’aujourd’hui ? Car si l’écart est grand, en termes de siècles, entre la première définition de l’artiste et celle qu’on lui donnerait aujourd’hui, l’amplitude dans sa représentation collective et imaginaire n’apparaît, quant à elle, pas si vaste et même plutôt ténue, et concourt, aux côtés de l’Histoire et de l’enseignement, au maintien d’un smog comme d’une aura autour de la population artistique. À travers ce prisme, l’artiste courbe-t-il ? Ou déploie-t-il, au contraire, toute son énergie à dissiper l’épais brouillard pour révéler à ses compatriotes dans un premier temps, au monde artistique, ensuite, la réalité de sa profession, et sa véritable identité sous le masque de l’exception française ? De la définition à la représentation donc, mais en passant aussi par la présentation de l’artiste lui-même et par lui-même, il s’agira ici, enfin, de lever l’ombre sur le sujet premier de nos interrogations, à savoir l’artiste contemporain en France.

(1) Entretien avec Hervé Trioreau, 15 février 2010, Lyon

Contient des entretiens réalisés auprès de :
Hervé Trioreau
Jérôme Cotinet
Lucie Lanzini
Hugo Pernet
Noémie Razurel

Mémoire ♦ mai 2010
Master 1 Métiers des Arts et de la Culture
Faculté d’Anthropologie et de Sociologie de l’Université Lumière Lyon 2
Directeurs de mémoire : William Saadé et Norbert Bandier

Exister comme artiste : le cas genevois

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Ce texte est la propriété exclusive de Léonor Rey. L’utilisation, la transmission, la modification ou la rediffusion de toutes
ou partie de ce texte sur un support quel qu’il soit, sont formellement interdites sans l’autorisation de son auteur.

Le contexte genevois

Si l’objet de ce mémoire tient à la tentative de définir la place et le statut des jeunes artistes plasticiens à Genève, il est en premier lieu nécessaire d’esquisser le contexte genevois, une base qui nous aidera à comprendre le fonctionnement primaire et historique de cette société, et qui résonnera en nous tout au long de la lecture de cet essai. Chaque ville suisse a une identité propre et forte. Le système fédéral a fait que de Berne à Lugano en passant par Genève, chaque paysage urbain a su développer une vision singulière, dans tous les domaines, dont la culture. Genève a une position particulière sur le territoire : aux frontières de la France où le français est devenu la langue cantonale officielle, elle n’a pourtant rien à voir avec sa voisine en termes de politiques culturelles. Nous analyserons alors cet environnement aux multiples influences, d’un constat pragmatique à une irréfutable tradition suisse, aux raisons riches et variées.

L’initative privée

Nous l’entendions précédemment, la Suisse est fortement empreinte d’une bilatéralité identitaire par deux implantations importantes dans le paysage genevois : la culture et les entreprises. Le mécénat est une forme du financement de la culture en Suisse, particulièrement actif dans le Canton de Genève. Bien que cette aide va surtout aux grandes institutions, au détriment des acteurs culturels indépendants, elle encourage de manière générale la création et le développement de projets artistiques à plus ou moins grande envergure. Jean-Pierre Greff, quant à lui, voit définitivement cette initiative privée comme la différence marquante avec la France, bien plus frigide vis-à-vis du potentiel économique que la culture pourrait exploiter. D’où vient cette initiative ? Comment s’est-elle libérée ? De quelles façons se traduit-elle ?

La professionnalisation à l’école

“Si l’idée de professionnalisme appelle aujourd’hui spontanément l’exercice à plein temps d’un métier ancré dans une compétence dont la rémunération suffit à assurer l’existence, cette caractéristique ne va pas de soi (…) pour toutes les professions artistiques.” (1) Aujourd’hui, l’école d’art devient l’étape nécessaire et quasi obligatoire à la reconnaissance d’une activité artistique jugée professionnelle par le milieu de l’art, en-deçà des artistes autodidactes ou qui auraient suivis une formation tout autre. La formation qui y est dispensée s’accorde à faire cohabiter pratique et théorie, et forme de jeunes artistes à développer “une vision personnelle, avertie et critique” (2) qui enrichira et dialoguera avec la société, tout en mettant à leur disposition un large panel d’outils et de techniques. Ce qui fait aussi l’écart entre le temps d’apprentissage et de formulation, et le saut dans le monde professionnel. Si le terme de professionnalisation est un néologisme, il décrit cependant clairement ce dont se revendique l’école, l’acte de rendre professionnel. Car si être artiste est une profession, quels outils promulguent les écoles d’art aux étudiants ? Comment devient-on artiste professionnel, tant est qu’il n’y a pas en Suisse une réelle reconnaissance d’un statut de l’artiste plasticien ? Comment amortir cet écart souvent troublant et violent entre le temps de l’école, et la sortie de l’école ? Nous nous focaliserons ici sur les possibilités et le fonctionnement offerts par la Haute École d’Art et de Design de Genève envers les futurs artistes de la scène genevoise. “Il est par ailleurs entendu que le milieu du «marché» constitue lui aussi à son tour un modèle d’enseignement très fort pour les jeunes artistes. La question posée est ainsi simple et élémentaire : si les écoles continuent à être nécessaires, que vont-elles et doivent-elles enseigner aux élèves ?” (3)

Après l’école

“Voulez-vous sincèrement être pauvre ?… ou comment devenir artiste” (4). C’est ainsi que s’intitulait, dans les années 80, le cours de “pratique professionnelle” de l’école d’art de Glasgow mis en place par Sam Ainsley et David Harding. Vingt ans après, qu’en est-il ? Une fois le grand saut fait, que se passe-t-il pour les jeunes artistes en devenir à Genève ? À l’appui des entretiens réalisés, nous aborderons les différents parcours d’Eric Winarto, Beat Lippert et Luc Mattenberger, à travers les multiples formes de soutiens, du public au privé. Nous évoquerons notamment la manière dont ils survivent, pour deux d’entre eux contraints de passer par la case “alimentaire”. Et de fait, comment un artiste suisse s’inscrit juridiquement et socialement dans la société genevoise, et de quelle façon cette dernière participe d’une visibilité internationale. Nous verrons que sous l’apparent oasis suisse, se cachent de nombreuses contradictions qui nous amèneront à devoir repenser, au-delà d’un statut de l’artiste, la définition même d’un artiste. “Si n’importe qui peut devenir plasticien, si n’importe qui peut essayer, tout le monde ne réussira pas. Il faut un minimum d’audience. Cela n’est pas nouveau, bien entendu. Mais ce qui l’est c’est qu’il n’y a pas de lien logique entre le fait de suivre un parcours-type, professionnel ou éducatif, et le fait d’obtenir l’audience en question. Pour réussir, il vous suffit dorénavant de savoir vous vendre.” (5)

(1) Fabien Bergès, Théâtre amateur et théâtre professionnel : concurrences ?, mémoire paru à l’Université Parix X-Nanterre, 1999
(2) Présentation de l’Head, http://head.hesge.ch
(3) Emmanuel Mavrommatis, «Les écoles d’art : que faut-il en faire ?», De l’enseignement à l’engagement en art, éd. AICA Press, 2008
(4) Sam Ainsley, «Voulez-vous sincèrement être pauvre ?… ou comment devenir artiste», De l’enseignement à l’engagement en art, éd. AICA Press, 2008
(5) Christian Delacampagne, Où est passé l’art ?, éd. Du Panama, Paris, 2007

Contient des entretiens réalisés auprès de :
Eric Winarto
Beat Lippert
Luc Mattenberger
Jean-Pierre Greff
Véronique Yersin

Mémoire ♦ mai 2009
Licence 3 Métiers des Arts et de la Culture
Faculté d’Anthropologie et de Sociologie de l’Université Lumière Lyon 2
Directeurs de mémoire : William Saadé et Frédéric Khodja